• Cthulhu (version Gumshoe), compte rendu de lecture

    trail03.jpg Ola, faisons gaffe de ne pas se laisser dépasser par l'actu quand même. Si je fais encore traîner mon compte rendu de lecture du Cthulhu du 7ème Cercle, celui de Sans-détour va finir par paraître avant ! Alala, rythme haletant du paysage ludique francophone (je ne pensais pas un jour écrire une telle phrase, moi...).

    Tout d'abord, pour que cette critique soit utile au lecteur de passage, posons un peu les faits :
    - j'ai déjà acheté Esoterroristes, autre jeu utilisant le système Gumshoe ; je l'ai trouvé intéressant mais pas complètement satisfaisant à mon goût (AMTTTTTHA et autres précautions oratoires d'usage). Je me suis alors fendu d'une petite aide de jeu PDF pour y apporter deux ou trois patchs de ma sauce. Vous retrouverez les articles et PDF en question sur ce blog avec un minimum d'effort (lien en haut à gauche et moteur de recherche interne).
    - j'ai certes joué par le passé à quelques partie de l'Appel de Cthulhu (quel rôliste francophone de plus de 25 ans peut dire le contraire ?), j'ai lu quelques nouvelles de Lovecraft et même acheté d'occasion quelques suppléments pour le jeu, soit pour leur aspect intrigant à mes yeux (Les contrées du rêve) ou par mono-maniaquerie 1900 (tout ce qui concerne l'époque By Gaslight). Il n'en reste pas moins que je suis tout sauf un spécialiste de l'auteur et de ce monde.
    - aprèsa voir pas mal joué à Runequest, je ne suis aujourd'hui plus du tout convaincu par le Basic System de Chaosium.

    Dont acte.

    Les lecteurs fidèles du Cyberpunk Reload ne seront pas dépaysés : je vais commencer par la forme du bouzin. Sauf que là, rien à voir. A ma gauche, une gamme du début des années 90 avec une philosophie de la direction artistique qui pourrait se résumer à "tiens, Joe, j'ai un trou dans ma mise en page : t'as pas un crobard de ton petit frère pour combler ? J'ai horreur du vide." A ma droite, le livre de base de Cthulhu : couverture dure, papier glacé, bichromie à toutes les pages, des illus en veux-tu en voilà... Victoire par KO au 1er round. Bref : c'est bôôôô. Mais c'est plus que cela.Pour moi, c'est un des bouquins de jdr les plus agréables à consulter que j'ai eu entre les mains ces dernières années. J'ai eu tout de suite envie de me mettre à une lecture quasi-intégrale du gros bouquin alors que d'habitude je picore plutôt les infos de page en page. Pourquoi ? Attendez-moi deux secondes, je réfléchis et je reviens.

    Ayééééé. Voici donc quelques hypothèses qui me semblent pouvoir expliquer cette très agréable impression :
    - l'unité de style ; comme je le disais plus haut, Jérôme Huguenin (aka Jee) a réalisé toutes les illus ainsi que les éléments graphiques de la mise en page (fonds, cadres...). Outre le fait que le garçon a bien du talent, cela donne aussi une unité au bouquin qui m'est bien agréable. C'est un peu l'effet Rolland Barthélémy = Rêve de Dragon ou encore Manchu = Empire Galactique.
    - l'identité visuelle ; Jee ne s'est pas contenté de faire du pousse-illu ("et hop, encore une tentacule et une machine-gun pour ces débiles de rôlistes...") ; le Monsieur a donné dans l'art. La plupart des illustrations sont réalisées sur la base d'un photomontage... et ça le fait. Cela change agréablement des illustrations traditionnelles et, surtout, cela introduit un surcroît de mystère dans chaque scène puisque, par définition, chaque personnage représenté faisait ou était autre chose dans la vraie vie et se retrouve soudain projeté dans le monde de Lovecraft. Un peu comme vous et moi après avoir revêtu le masque de papier de votre personnage préféré. Vous me suivez ? Du coup, je regrette un peu que toutes les illus ne soient pas exclusivement de tels montages. Paradoxalement, mes préférées sont celles où le montage est assez "grossier" (aïe, je vais me faire taper si Jee jette un oeil sur cet article...), par exemple celle où une barque minuscule est mise au pied d'un rocher immense. L'ambiance qui s'en dégage est assez fascinante et, encore plus qu'un dessin, cela fait vraiment marcher mon imaginaire en suggérant le fantastique bien plus qu'en le montrant.
    - la bichromie ; allez, je me lance : avec la bichromie, y a plus de couleurs qu'avec le n&b. Hum. Non, c'est vrai. D'une part, cela permet de distiller une ambiance spéciale. Ici, c'est le vert qui est présent (en plus du n&b donc). Donc ambiance un peu glauque mais aussi couleurs sépia pour les illus. Cela s'imposait vraiment. Mais, hop, je me lance à nouveau : je me demande si la bichromie ce n'est pas mieux que la quadrichromie. Je me méfie vraiment des jeux qui déploient une débauche de couleurs sur toutes leurs pages. En général, ça pique aux yeux au niveau de la mise en page et le jeu perd en lisibilité. Ici, le fond de page est sobre (façon texture de papier vieilli) et clair. Cela permet aussi de bien jouer sur les niveaux de texte (exemples, titres, sous-titres...).

    Bon, OK, c'est beau et agrable à lire mais j'ai passé l'âge des albums illustrés, le contenu est bien aussi ?

    Oui. Indiscutablement. Je ne reviens pas en détail sur la présentation du mythe de Cthulhu (je n'ai pas beaucoup de motis de comparaison), ni sur les bases du système Gumshoe. Par contre, par rapport à Esoterroristes, voyons ce qui change sur ce dernier point.

    Un des points faibles du jeu de l'Ordo Veritatis était à mon avis d'avoir une création de persos faiblarde car bâclée (tu distribues tant de points dans tes compétences...). Là, c'est beaucoup mieux. C'est un bon vieux système d'archétypes (j'aime les bons vieux systèmes d'archétypes) avec pour chacun une liste de compétences professionnelles, un niveau de vie et, très bonne idée, un talent spécial à activer en cours de partie. Des fois, il y a aussi une illu de Jee et là, c'est la fête. A noter que sur le forum de l'éditeur, un garçon plein d'esprit d'initiative propose déjà 3 nouveaux archétypes tout à fait jouables :
    http://www.7emecercle.com/forum/viewtopic.php?t=1043
    On choisit donc un archétype, hop, on y colle une "motivation" (pourquoi le personnage accepte-t-il de se confronter au Mythe ?) qui apporte un vrai relief au background du personnage et on a un perso viable en termes de règles mais qui a aussi une vraie identité de base sur laquelle le joueur consciencieux pourra broder à loisir.

    Tant qu'on est sur les personnages, j'ai aussi bien aimé le système de santé mentale. D'une part, il distingue deux types de santé : une immédiate (aaaaaah, crise de nerfs !!!!) et une sur le long terme (mais non, je vous assure que ça va très biennnnnniaaaark, niieeeeurrrkkk). Bonne idée. Ensuite, le background du personnage est très agréablement mêlé aux règles puisque c'est en s'appuyant sur des "piliers" (sa femme, la religion...) que l'Investigateur peut (ou pas, le plus souvent...) s'en tirer. Donc, hop, on ajoute les "piliers" choisis au background de son personnage et on continue ainsi le petit puzzle très simple que constitue cette création de persos façon mezze. Miam.

    Pour le reste, on peut regretter que le système Gumshoe n'ait pas subi une plus grande révision. Un des aspects que j'avais pointé précédemment et qui est tout sauf résolu, c'est l'ambiguïté qui règne entre compétences d'investigation "passives" (hop, ça marche dès que tu l'as) et "actives" (il faut penser à dire au MJ qu'on l'utilise). Faute de distinguer vraiment les deux (j'avais fait un tableau dans ce sens dans mon PDF), l'incertitude règne.  Par exemple, la compètence "Réconfort". Peut-elle être passive (allons, allons, aps de mauvais esprit, bande de petits coquins) ? Le MJ peut-il dire à un joueur : "si tu fais un gros calin à ce témoin, il pourrait t'apprendre une info capitale". Si cela peut se comprendre dans une approche narrativiste des choses, moi, cela heurte ma conception ludique d'un scénario d'enquête. Si il y a de grosses flèches "attention, indice" partout, cela tue mon désir d'enquêter.

    Dans le même ordre d'idée, je trouve dommage d'avoir systématiquement comme modèle de narration d'investigation les séries US façon NCIS ou Les Experts. Alors, oui, ça fait vieux con sur le retour mais moi, je trouve que question enquête, ça ne remplace pas un bon vieux Hercule Poirot avec David Suchet ou un Sherlock Holmes avec Jeremy Brett ni même un Maigret avec Brunoi Cremer. Une scène où on suit en travelling le chargé d'enquête qui marche dans un couloir de commissariat, qui pousse une porte à double battants, plan large sur l'équipe d'enquête au grand complet, retour sur le travelling, le chargé d'enquête s'empare d'une tasse de café brûlant qui traînait là et la boit en marchant dynamique tout ça, "alors les gars, ça boom ?", "okidoki boss, on a récolté les indices", "envoie le bouzin, man", plan de coupe sur un écran d'ordinateur qui fait bip bip où on a une page de dossier incompréhensible et des photos de cadavre bien purulent, topo hyper speed du grouillot, un autre grouillot fait une blague grasse, le boss se fâche gentiment tout en continuant de marcher entre les bureaux (la pièce fait 200 m sur 200 m), un troisième grouillot improbable, une femme ou un noir ou mieux les deux a une idée géniale : "ça, c'est signé mmm-mmm", le boss ne s'arrête pas mais lui envoie un clin d'oeil ou une tape amicale et conclut : "ok, les gars, well done, on envoie une équipe sur place", il quitte la pièce par une autre porte à double battant pour aller vaquer, fin du travelling (on allait vomir) et retour sur les grouillots qui s'échangent des vannes lourdes et des tapes dans le dos.

    Ouééé, ça fait trop envie de jouer ça avec ses potes autour d'une table de jeu. Alors, oui, je caricature honteusement mais il est dommage que le système Gumshoe nie parfois l'intérêt de tout un pan du travail d'investigation. Le "mais, mais, les gars, vous aviez vu que le cadre a un double fond ?!". Le "voici le carnet de la victime, si vous le lisez attentivement, vous trouverez peut-être des indices (le MJ distribue un vrai carnet fait avec amour)". Mais aussi le "pitin, les gars, il est 2 h du mat' et on a toujours pas de piste, la bombe explose dans moins de 24 heures !!". Sans oublier le "aha, le coupable, c'est bien évidemment le directeur du parc dissimulé sous un masque en kapok" auquel le Mj répond "oh, les gars, soit vous avez abusé du café froid, soit vous avez trop vu d'épisode de Scoobidoo quand vous étiez petits". Bref, une grossière fausse piste.

    Au bilan, je continue de penser que Gumshoe propose de très bonnes choses pour des scénarios d'Investigation comme des aventures dans le monde de Lovecraft mais le système est parfois appliqué sans nuance, de façon presque "idéologique" alors qu'il aurait mérité d'être paufiné à l'occasion de son utilisation dans ce nouveau jeu.

    Bon, plus trop de place pour le reste mais : bien aussi le côté Pulp, la présentation courte mais inspirante des années 1930 ou encore le scénar bien détaillé dans le livre de base. Donc, un beau livre de jeu de rôles + beaucoup de bonnes choses pour faire jouer du Lovecraft = un très bon achat à conseiller !
    « Weeee aaaaaa-re the chammmmm-pions ! (bis repetita)Cyberpunk Reload (5ème partie) »

  • Commentaires

    1
    Cyprien
    Mercredi 17 Septembre 2014 à 11:13
    Très bonne analyse. Ce que j'avais pu lire avant d'avoir le jeu avait stimulé mon imagination dans le même sens que toi. Je trouve donc ton aide de jeu très bonne.
    Par contre, j'ai réalisé un autre système pour décrire chaque scène avec un simple tableau : description de la scène / Deadline / Indices et fausses pistes (dans cette partie figure le niveau d'information donné par rapport aux points dépensés).
    Tu as eu la bonne idée de laisser les joueurs être prudents dans leurs recherches en leur permettant de dépenser les points au fur et à mesure.
    Personnellement, je suis plus vil que ça avec eux! Je concidère que lorsqu'ils font l'action, il se peut que sous un seuil de points dépensés, leur action soit un échec critique. Par exemple, pour crocheter une serrure, le joueur peut essayer sans dépenser de point, mais il s'expose à un échec qui bloquerait la serrure définitivement. Comme il ne sait pas s'il y a un point de rupture et à quel niveau, il peut s'appliquer dès le départ. Il s'expose donc à moins de risques, mais il perdra plus de points. Ca c'est de la stratégie! Il ne faut toutefois pas perdre de vue que le but de Gumshoe est de ne pas bloquer l'enquête; la technique de "seuil de rupture" est donc à utiliser avec intelligence, et surtout pas pour les actions ou scènes cruciales!

    Merci pour cette aide de jeu définitivement excellente!

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :