• De l'ombre à la lumière

    Qu’est-ce qu’une nation ?

     

    Il parait que j'appartiens à une autre nation que la nation rôliste. Moi qui de mon écran de jeu avais fait mon étendard, et qui pensais n'avoir besoin d'aucun autre papier que ma feuille de perso - parce que ce sont les dés sur la table de création qui déterminent votre lieu de naissance - voilà qu'on m'incite à regarder les gens qui m'entourent sous le nez pour voir si je ne devrais pas les dénoncer afin que d'autres gens, qui bien sûr ne feraient que leur devoir vous pensez bien, les virent de la partie...

     

    Peut-on être rôliste retiré dans sa tour d'ivoire ludique, et lancer tranquillement les dés pendant qu'on discrimine, qu'on stigmatise, qu'on expulse au nom de la nation ? Peut-on continuer à jouer en toute insouciance, insensible à la marée brune qui monte ?

     

    Puisqu'ils veulent qu'on parle de ça, les rôlistes habitués à "jouer avec l'Histoire", à fréquenter les Uchronies on peut-être leur mot à dire face au revisionnisme mémoriel* qui sévit. Il me semble pour ma part qu'une nation ne devrait pas se juger sur ses victoires ou ses défaites mais plutôt dans sa capacité profonde à dépasser les unes et à surmonter les autres. Car il faut beaucoup d’humilité pour garder une attitude modeste et raisonnable dans la victoire et beaucoup de courage et de résolution pour se remettre d’une défaite. Lorsque les temps sont difficiles et que le gouvernement cherche des boucs émissaires, c'est dans la fraternité et la mémoire que l'on trouve ces ressources.

     

    C’est d'ailleurs de ce genre d'élan qu’est née la Belle Epoque, époque fétiche des Mondes en Chantier. Notre pays a réagi au lendemain du désastre de 1870 après les cuisants échecs militaires, l’humiliante capitulation de Sedan et la journée insurrectionnelle du 4 septembre suivie de la proclamation de la IIIème République. Non sans déchirements, puisqu'au désastre de la guerre franco-allemande, s’ajouta la douloureuse guerre civile qui opposa le nouveau gouvernement à la Commune de Paris dont l’insurrection souvent violente fut sauvagement réprimée en Mai 1871.

     

    Une fois l’espoir noyé dans le sang, la France fut mise au travail. Et c’est là précisément que le sursaut français fut magnifique, et que l’on peut parler de miracle économique.

     

    Les origines injustement méconnues de la Belle Epoque

     

    La « Belle Époque » que les rôlistes font allégrement commencer en 1870 ne s'étend en théorie que de 1896, qui marque le début de l'expansion économique, jusqu'à la veille de la Première Guerre mondiale en 1914, où elle est à son apogée. Certains historiens la réduisent même à sa plus simple (pure ?) expression en la faisant commencer en 1906. Et ils considèrent généralement que cette période d'abondance a été précédée d'une période noire : la grande dépression des années 1873 à 1896. C'est pourtant elle qui a posé les bases de ce moment si distingué ! 

     

    Notre pays comptait alors trente-six millions d’habitants qui contribuèrent à la construction d’une France a nouveau puissante et respectée. Tout d’abord, en matière ferroviaire, la République continue et amplifie l’œuvre constructrice de l’Empire. Parmi les lignes importantes dont la construction est commencée dès 1872 il faut citer celles qui, partant de Clermont-Ferrand gagnent l’une Béziers et l’autre Nîmes à travers les rudes ravins cévenols. A ces lignes s’ajouteront bientôt de multiples « transversales ». Si bien que quelques années après le désastre de 1870, la longueur du réseau ferroviaire atteindra le chiffre tout à fait remarquable pour l’époque de 20 000 km.

     

    Cette réussite est extrêmement importante car elle signifie le triomphe du rail sur la route. Elle annonce un pays dont les échanges intérieurs vont se diversifier et augmenter sans cesse. C'est la véritable amorce d’un grand pays moderne.

     

    Non moins importante que l’œuvre ferroviaire est celle que la République poursuit dans les transports par voie d’eau (dans lesquels, il est vrai, il convient particulièrement de ne pas se trouer). Le 10 avril 1872, une loi décide la canalisation de la Moselle et de la Meuse, la jonction de ces deux rivières à la Saône, la modification du canal de la Marne au Rhin et la jonction du canal du Rhône au Rhin avec le canal de l’Est. Dès le tout début de 1873, les chantiers sont en pleine activité.

     

     

     

     

    Deux autres tendances méritent aussi d’être signalées au point de vue de l’agriculture. Tout d’abord le recul des céréales dites « pauvres » comme le seigle au profit des céréales dites « riches » comme le blé et, à partir de 1875, notre pays produit 100 millions d’hectolitres de blé par an, soit, à peu près, les besoins nécessaires à sa consommation. Et les pommes de terre sont tellement abondantes que nous en exportons ! Une seconde tendance de notre agriculture d'alors est aussi le recul très net des céréales devant la culture fruitière. Les français s’alimentent mieux : ils ont une nourriture de plus en plus variée.

     

    De plus, sur le plan de l’urbanisme, ils sont aussi mieux logés. Le Second Empire avec le baron Haussmann qui s’intitulait « l’artiste démolisseur » avait fait de larges trouées dans Paris. La République a la sagesse de voir moins grand mais de tout remettre en état et d’offrir aux ouvriers des logements qui, compte tenu de l’époque, sont fort convenables. Et qui subsistent toujours de façon fragmentaire dans les quartiers Nord et Est de la capitale.

     

    Quant à l’industrie française, on peut dire que dans les dix premières années de la Troisième République, elle ne connaît pas de difficultés sérieuses. Ce qui est d’autant plus remarquable et encourageant que, dans le même temps, l’industrie des Etats-Unis, celles de l’Allemagne et de la Grande-Bretagne subissent une crise grave, avec comme conséquence une baisse sensible du prix des matières premières tout à fait favorable à notre pays.

     

    Au coeur des ténèbres

     

    A cette époque le charbon est roi ; C’est le Dieu énergétique qui fait marcher la machine France ! Aussi les puits de mines s’accroissent dans le Nord et le Pas-de-Calais. Les industries textiles sont également en pleine expansion et partout ou presque les métiers mécaniques ont remplacé les métiers à bras. Dans les Alpes et le Dauphiné, on commence à utiliser les chutes d’eau pour la production d’énergie. En 1878, l’expression « houille blanche » est employée pour la première fois.

    1878 ! Etienne Lenoir présente une voiture et un canot munis de ce qui peut être considéré comme la première ébauche de notre moteur à explosion.

     

     

     

     

    En outre, l’antique « draisienne » munie de pédales s’est déjà allongée, transformée : elle est devenue le vélocipède ou « grand bi ». Petit progrès mais décisif quant à la physionomie de la France. La bicyclette permet des déplacements plus rapides que la marche à pied et est moins coûteuse qu’un cheval, et de loin. D’où son immense succès.

     

    Bientôt, dans les grandes villes, on assiste à la spectaculaire naissance des « grands magasins » avec leurs prix fixes, leurs étalages élégants. Précurseur, le « Bon Marché » se taille la part du lion dans le début d’une compétition courtoise mais acharnée qui l’oppose au Louvre, Printemps, Belle Jardinière, Samaritaine, et quelques autres.

     

    Dans tous les domaines, sans exception, la France se redresse après le terrible désastre de 1870. A tel point que cela inquiète sérieusement l’Allemagne prussienne qui regrette amèrement de ne pas lui avoir imposé des conditions encore plus dures lors du traité de paix.

     

    Les vessies et les lanternes

     

    Oui, la France presque immédiatement après 70 a été capable d’un véritable miracle économique. Et oui, la période tant fantasmée des Années Folles a débouché sur une effroyable tuerie. Il n'y a jamais qu'un pas de l'Ombre à la Lumière, et alors comme aujourd'hui, tout n'est peut-être pas exactement comme on voudrait nous le faire croire... Mais les amateurs de Crimes et de Maléfices savent déjà ça, n'est-ce pas ?

     

    * : où l'on repense à un certain Discours de Dakar...

    « Le Grog a 10 ans !La Conspiration de la Machine Infernale ! »

  • Commentaires

    1
    Mardi 11 Mai 2010 à 11:04

    @Ice Hellion : Merci pour ces précisions ! Pour le plan Freycinet j'avais ça mais j'ai préféré ne pas alourdir (c'est déjà pas mal professoral comme ça...). Pour l'aventure coloniale j'ai volontairement fait l'impasse... dans cette première partie !

    @Syzia : Merci !

     

     

    2
    Mardi 11 Mai 2010 à 16:22

    Pour compléter ce tableau de la période 1870-1914, il faudrait parler aussi de l'esprit de "revanche" qui sévit dans les milieux intellectuels et littéraires (mais pas que).

     

    La revanche contre l'allemand, le prussien, le boche, alimente toute sortes de récits, nouvelles (par exemple, "Boule de suif" de Maupassant), romans, articles, pamphlets, manuels scolaires (le plus célèbre d'entre eux, "le tour de France de deux enfants" ressasse la nécessité de récupérer l'Alsace et la Lorraine). Il y eut même des récits pour la jeunesse qui stigmatisaient la barbarie du prussien tout en exaltant les vertus du patriotisme et du sacrifice de soi des enfants français.

    La chanson "vous n'aurez pas l'Alsace et la Lorraine" date de cette période. Gambetta, Barrès, Daudet (qui écrivit "Contre l'esprit allemand"), Deroulède, Maurras, Bainville, etc. Les intellectuels sont nombreux à cette époque qui manifestent leur ressentiment vis à vis de l'envahisseur allemand.

     

    AMHA, on ne peut pas parler de cette période tout en occultant le nationalisme très fort qui sévissait alors. L'envie d'en découdre avec le "boche", de venger l'affront de 1870, est extrêmement présent. 

     

    Pour ceux qui voudraient en savoir plus, voici quelques liens : 

    http://www.dacodoc.fr/6-histoire-geographie/147-histoire-contemporaine-1789/19637-nationalisme-et-sentiment-national-en-france-18701914.html

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Revanchisme 

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Nationalismes_en_France

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Relations_européennes_(1871-1914)

    Il existe également sur le net un essai très complet et fort pertinent sur le sujet : http://www.europa.clio-online.de/site/lang__de/ItemID__265/mid__12195/40208768/Default.aspx

     

    A lire également, cette fois en librairie :

    Dictionnaire biographique et géographique du nationalisme français, 1880-1900, Paris : H. Champion, 1998

    - L'école de la revanche 1871-1919, par Pierre Guibert, Montpellier, les Amis de la mémoire pédagogique, 2003

    Droz, Jacques, Les relations franco-allemandes intellectuelles de 1871 à 1914, Paris 1973

    Cordialement

    3
    Ice Hellion
    Mercredi 17 Septembre 2014 à 11:02

    Quelques précisions (qui n'enlèvent rien à l'intérêt de cet article).

    Les débuts de la canalisation de la Moselle remontent à avant 1872 et l'ensemble des travaux fluviaux mentionnés est le résultat de la perte de territoires suite à 1870.

    Le développement du chemin de fer avait déjà lieu avant 1870 puisque le Canal de la Marne au Rhin a subi lors de sa construction la concurrence du fer.

     

    Par contre, 1878 marque le début du plan Freycinet qui a multiplié les voies ferrées et standardisé le gabarit fluvial.

     

    Quid de l'aventure coloniale qui n'a réellement démarré qu'avec la Troisième République?

    4
    Syzia
    Mercredi 17 Septembre 2014 à 11:02

    Très belle synthèse sur cette époque que je ne maîtrise pas du tout !

    5
    Doud
    Mercredi 17 Septembre 2014 à 11:02

    A propos des conditions de paix imposées par l'Allemagne après la défaite de 1870 :

    elles ont permis de financer l'essor économique et industriel de l'Allemagne.

    5 milliards de francs or ont été versées  ont ainsi été versés à la jeune nation et malgré la ponction colossale qu'elle a infligé, la France s'est rapidement relevée.

    Cela dit la machine allemande était lancée et lle dépassa rapidement les capacités industrielles de la France.

    6
    Doud
    Mercredi 17 Septembre 2014 à 11:02

    Autre événement important selon moi, l'affaire Dreyfus (1894-1906) qui a montré que face à la "grande muette" et à la morgue d'une Justice qui se croit tout permis, la Raison et la vérité pouvaient triompher, preuve que les valeurs démocratiques étaient bien implantées (malgré un antisémitisme larvé).

    Autre chose importante à mon sens : l'essor de l'instruction publique.

    En effet, juste après la défaite de 1870, les élites françaises dirent que "c'était l'instituteur allemand qui avait gagné la guerre" et non le soldat. L'instruction prussienne (puis allemande) était effectivement en avance par rapport à la France et son taux d'alphabétisation largement supérieur à celui de l'hexagone. Le paquet fut donc mis après 1870 pour compenser le retard français dans ce domaine.

     

    Sinon la France a fait preuve d'une grand vitalité sur le plan scientifique et technique (automobile, aviation, photographie, cinéma, physique, etc) qui n'a rien à envier à la Grande Bretagne et à l'Allemagne.

    On pourrait parler aussi du foisonnement artistique (peinture et littérature) dont la France est l'épicentre européen durant toutes cette période des années folles.

     

    Décidément, il s'agit d'une période fascinante.

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