• Esoterroristes : lecture critique

    esocover-copie-1.jpg Bon, ayé, après en avoir parlé dans tous les sens, après avoir un quart de seconde failli craquer pour la version originale, j’ai enfin mis la main sur Esoterroristes. Compte rendu de lecture.

    Au début, la magnifique couverture de Jee t’empêche d’ouvrir le livret tellement tu veux rester sur cette bonne impression mais bon t’as pas payé tes 17 euros juste pour le dessin donc tu te forces quand même. Justement, hop, transition : 17 euros pour un jeu, certes court et relativement peu illustré, mais complet, bien maquetté, bien imprimé, j’adore. Du coup, j’ai tout lu d’une traite ce qui est quand même relativement rare. Tenez, ça ne m’était plus arrivé depuis Imago de Multisim. Nan, arrêtez, je déconne.
     
    Qu’est-ce qu’on a, alors, finalement, en 88 pages ? D’abord, on a un petit laïus réparti en plusieurs pages de conseils sur la philosophie du jeu et du système Gumshoe vis à vis du jeu d’enquêtes. C’est souvent bien vu et intéressant même si le côté cour de récré (« ouah, les autres, ils ont même pas eu l’idée avant nous et du coup ils font des jeux trop pourris ») énerve un brin sur la durée. On a un embryon de background sur de sombres histoires de Ordo Veritatis et de ésoterroristes. Evidemment, en exactement 8 pages, ça ne casse pas des pattes à un canard ésotérique mais, franchement, il y a de bonnes idées, ça suffit pour jouer tout de suite et finalement ça ne me déplaît pas malgré mon habituelle retenue devant l’occulte contemporain qui avait la fâcheuse tendance à mes yeux à être verbeux et prétentieux. Seul le bestiaire le plus court du monde (3 monstres !) fait un peu pauvre.
     
    La création de personnages vaut surtout pour son impressionnante liste de 39 compétences d’investigation. Un travail de listage globalement utile mais un peu tiré par les cheveux des fois : « entomologie légale ? Ouais, ça fait 39 ! Plus qu’une et on a un compte rond ». En fait, ils ne l’ont jamais trouvé mais ce n’est pas faute d’avoir essayé… Le défaut de cette création de perso est son manque de « plug and play » qui tranche avec tout le reste du jeu. C’est une bête répartition de points dans les compétences. Les joueurs sombreront donc dans des abîmes de perplexité devant la liste proposée (52 en tout avec les compétences générales !) et les MJ s’arracheront les cheveux à expliquer les différences entre entomologie légale et anthropologie légale ou bien entre linguistique et analyse de texte… Tant qu’on était dans le caricatural, une poignée d’archétypes avec répartition de points pré-remplie aurait été idéale.

    Bien évidemment, le gros du morceau est le système Gumshoe en lui-même. En ce qui concerne strictement ce système de résolution d’enquête (qui vit en marge du jeu lui-même et sera réutilisé dans le futur Keutulu), voici les éléments que j’apprécie et ceux qui m’ont quelque peu déçu :

    Ce que j’aime dans le système Gumshoe :  

     - avoir voulu faire un système de jeu dédié aux enquêtes. Environ 80 % du temps de jeu autour des tables que je fréquente (les 20 % restants étant, bien évidemment, consacrés à la juste et morale extermination des coupables…). Il est donc vraiment dommage d’utiliser pour cela des systèmes de jeu qui, bien souvent, se consacrent plutôt au combat ou autre fine interaction.

    - avoir réussi à remettre en cause le déroulement classique des enquêtes dans les jdr :
    le but est ici d’éviter qu’un seul jet de dés, heureux ou malencontreux, décide de l’issue de celle-ci. Style jet de TOC ou d’Idée dans Keutulu.

    - l’emploi d’un système de réserves. J’aime les réserves. Cela permet de garder un dispositif ludique en remplacement du jet de dé. Cela introduit une petite composante tactique : je dépense un peu ou beaucoup de ma réserve ?

    Ce que je n’aime pas :


    - le système est trop passif : en fait, les joueurs n’ont pas à dépenser une partie de leur réserve pour trouver les indices ; il suffit pour cela d’avoir un point en réserve et hop, le tour est joué. Les dépenses de réserves ne servent qu’à avoir des détails sans grande importance pour la résolution de l’enquête. Bonjour la tactique…


    - le système ne gère pas les fausses pistes. Vous savez ? Quand vous êtes persuadé que le tueur habite à l’intersection des droites tracées à partir des différents points de ses crimes… et que c’est bien évidemment une théorie foireuse. Mais dans laquelle vous vous êtes investi pendant des journées entières. Là, dans le système tel qu’il se présente, le joueur sait tout de suite si il y a quelque chose à trouver ou non avec telle ou telle compétence. Bonjour le suspens…

    - le système ne gère pas le temps qui tourne. 24 h chrono, vous connaissez ? Vous êtes Jack Bauer et vous n’avez plus que 2 heures, 38 minutes et 49 secondes avant que le méchant ne fasse exploser une bombe au milieu du mall le plus fréquenté du monde civilisé. Tic tac, tic tac… Bien sûr, rien n’empêche de simuler cela par le décompte arbitraire des heures par le MJ. Ou même de le jouer en live (1 heure de jeu = 1 heure d’enquête). Mais il est dommage qu’un système dédié ne gère pas cela. 
     
    Résultat ? En véritable interacteur des synergies du jdr tout ça, hop, on se bouge le cul un tantinet et, dans le prochain article vous trouverez une petite aide de jeu PDF dans laquelle je propose 2/3 pistes pour rapprocher l’excellente base que constitue ce système de mes propres vues sur la question.
     
    On finit par un scénario bien détaillé et plutôt pas mal (en tout cas, fort glauque) qui met en application le système et le background et, hop, au final, je suis bien content quand même de mon achat. Une fois de plus, le petit prix et le nombre raisonnable de pages permet d’acheter et lire du jdr presque sans y penser et de faire ensuite marcher les petites cellules grises des MJ. Pari gagné !
    « Mes projets JDR pour la fin 2007Deadline !, une variante maison pour le système Gumshoe »

  • Commentaires

    1
    Jeudi 13 Septembre 2007 à 09:30
    Ben je suis plutôt d'accord, pour faire court. En particulier sur la passivité et l'absence de fausse piste. Je disais par ailleurs (critique du Grog) que j'ai l'impression de lire des règles pour 'simuler' les vieux jeux d'aventure point and click : on ballade la souris sur l'écran, le pointeur change de forme : hop, un indice ! on mélange l'indice avec un autre, et hop ! une nouvelle piste.

    La forme de ces règles semble ne pouvoir permettre que des scénarios écrits en forme d'organigrame. L'impro devient difficile, etc.

    Sur le temps, effectivement, aucune corrélation entre nb de point de réserve dépensé et durée de l'action, peu de notion de difficulté de l'action, etc.

    Dommage !
    2
    Mardi 22 Janvier 2008 à 12:04
    Après avoir feuilleté la V.O du livre, je pense que faire une jonction entre "Over The Edge" et ce jeu peut être intéressant pour compenser le manque de détails sur l'univers.
    3
    [ALT+R] Fred
    Mercredi 17 Septembre 2014 à 11:16
    Je n'aime pas les blogs. Sauf celui-ci. Et pire que tout, j'ai tendance à suivre les recommandations du tenancier. C'est pour ça que je n'aime pas les blogs. Et mon côté influençable. Passons.

    J'ai acheté Esoterroristes sur les conseils de M. Mondesenchantiers (enchanté) et j'ai été ravi. Je n'attends qu'une occasion de faire jouer mes potes. TOUS mes potes. D'où j'ai bondi aussi sur l'aide de jeu non officielle, où je compte bien piocher de quoi rendre les enquêtes encore plus serrées.

    Comme j'aime aussi le genre noir, je me demande comment utiliser le système Gumshoe pour jouer, disons, à la "Mike Hammer" ou à la "Philip Marlowe", avant et après guerre, plutôt que de nos jours.
    D'abord parce n'ayant pas la télé, je ne connais  "24",  Les Experts oui Cold Case que de nom. Alors la création télévisuelle contemporaine ne pourra pas constituer pour moi ni une référence, ni même un modèle.
    Ensuite parce que j'adore les romans de James Elroy (je relis Le Dahlia Noir) et que, décidément, les années 50 sont aussi corrompues que nos années 2000 mais sans offrir les joies des nouvelles technologies. Mes joueurs amateurs de portables & d'internet vont détester ^^

    La bonne analyse, non exempte de critiques mais tout de même globalement bonne, a apporté un lecteur de plus à Esoterroristes : M. Mondesenchantier, sachez-le, votre blog est lu et même apprécié. Je tenais à vous le dire.

    Maintenant, je devrais dire : j'aime pas les blogs sauf MeC ^^
    4
    Narbeuh
    Mercredi 17 Septembre 2014 à 11:16
    Merci beaucoup, cher [ALT+R] Fred, de ta fidélité et de tes commentaires ! Maintenir à jour un blog et/ou des sites internet autour des jdr s'apparente parfois à un sacerdoce et le sentiment d'avoir pu être utile à au moins une personne est déjà un réconfort et donne envie de continuer.
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    5
    Trop crevé pour me l
    Mercredi 17 Septembre 2014 à 11:16
    Moi, j'ai lu la VO, j'adore. Le contexte est réellement trop léger, mais bon, ne semble psa terriblement compliqué à développer : quelles pourraient êtres les moyens, structures, modes d'actions des deux protagonistes (Ordo Veritatis et Esoterroristes) ? Ca doit pouvoir se monter.
    Sur les fausses pistes, je ne suis pas d'accord : le jeu les autorise tout à fait (en tout cas, ce sera le cas avec moi) : la réussite automatique signifie juste que l'investigateur de l'OV a bien trouvé l'indice, pas qu'il a vu si c'était une vraie ou une fausse piste. En revanche, je reconnais que les scénarios préécrits n'en comportent pas assez, il n'y a que les bons indices. c'est insuffisant, pour que la partie ne tourne pas au jeu de piste. Ca peut donc se compléter, ce genre de trucs. On peut par exemple monter une vraie fausse intrigue, avec des faux satanistes, un bête chantage pour toute raison, un concours de circonstances (ou encore, un indice laissé par un flic, malgré lui, en "polluant" une scène de crime)... Bref, les possibilités sont multiples. sur l'improvisation, ben, c'est vrai qu'il y a un flux de l'aventure, mais l'impro est toujours là, d'une part en variant les possibilités de passer d'une scène (case organigramme) à une autre, en dehors des cas initialement prévus, en suivant toujours les idées des PJ, qui peuvent, par leurs actions mêmes, suggérer une "réalité" alternative à celle qui est écrite...
    Bizarrement, Esoterroristes est le jeu qui m'inspire le plus d'idées de création de scénars.
    Sur les pools de points, je dirais que ca peut surprendre, mais que ca représente le "potentiel héroïque" de tel ou tel perso, sur une période limitée. Sur la régénération des points, je me permettrai de redonner un ou deux points à un perso qui accomplit spécialement bien une action (bon role play, bonne intuition, bon esprit, bref...), que ce soit sur les compétence sgénérales ou sur celles d'investigation.
    Le reproche fait au combat (dégat des armes peu réalistes)... me semble un peu rapide, en testant, on s'aperçoit que le +2 au dommages pour courte portée (point blank ne signifie pas bout touchant, mais très courte portée, à mon avis, genre jusqu'à 3 ou 4 metres) corrige beaucoup la donne, le fait que l'adversaire probable (des créatures de cauchemar inventées par des cerveaux malades) possèdent des armes de CàC terrifiantes, etc.
    Tout cela combiné au fait que les règles de stabilité suggèrent une attitude de prudence assez forte, je pense que c'est erlativement équilibré.
    Je profite que ce jeu se joue avec un simple D6 pour en lancer une PBF sur mon petit forum privé, avec des potes, c'est un de ces forum avec fonctionnalités basiques pour lancer les dés, gérer les feuilles de persos, etc. Je vous dirai si ca tourne...

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