• "Les principes délétères", un nouveau scénario pour Ombres & Lumières

    C'est avec un immense plaisir que j'ai consacré une partie de mon temps libre, ces derniers jours, à l'exploration des ruelles tortueuses et des canaux de la Venise du Settecento. En effet, le nouveau concours de scénario de mes camarades des Salons de la Cour d'Obéron m'a inspiré (les mots-clefs à insérer obligatoirement dans l'intrigue cette fois-ci : "épidémie" et "harcèlement") et j'ai donc à nouveau écrit un scénario pour Ombres & Lumières. La suite du précédent : "Un c(h)oeur plein d'illusions".


    Comme je le disais déjà alors, ce jeu est une légende : c'est une idée bien précise poursuivie par Xaramis (dont vous pouvez parfois lire de temps à autre un commentaire sur ce blog) depuis quelques temps déjà mais qu'il n'a pas encore pu boucler. Donc, ne le cherchez pas, vous ne le trouverez pas. Il s'agit d'un jeu historique et réaliste (pas de fantastique, pas de superhéros...) se déroulant dans la seconde moitié du 18ème siècle. Le 1er contexte prévu pour le jeu (oui, le garçon est ambitieux) est l'incroyable Venise de ce temps. C'est un jeu que j'appelle de mes voeux : la période le mérite, Xaramis la connait avec passion et talent (la preuve absolue) et le système de jeu qu'il a esquissé pour son jeu promet d'être intéressant et de combler, pour moi en tout cas, un manque. Un système très simple mais réaliste, rigoureux et complet avec un soupçon de narrativisme.

     

    Je vous copie ci-dessous le tout début de ce scénario. Si vous accrochez, n'hésitez pas à aller lire la suite sur le forum de la Cour.


     

    Les principes délétères

    Un scénario pour Ombres & Lumières

    Résumé

    Un jeune juif du Ghetto se laisse corrompre par un vieil acariâtre. Ce dernier l’incite à participer à une opération d’empoisonnement de son mortel ennemi. Le jeune juif échoue et se débarrasse maladroitement du poison dans un puits. A la suite de cela, plusieurs personnes sont prises d’un mal inconnu. Des rumeurs de peste parcourent la cité des Doges. D’aucuns soupçonnent les juifs d’avoir empoisonné les puits. Et si, pour une fois, cette rumeur nauséabonde était, d’une certaine façon, fondée ?

    Conseils préalables

    Ce scénario se déroule dans la Venise de la seconde moitié du 18ème siècle. Il est conçu pour correspondre au cadre et à l’esprit du jeu de Xaramis, Ombres & Lumières. En raison de l’indisponibilité momentanée de ce jeu  , ce scénario pourra être joué avec n’importe quel système light mais réaliste et quelques sources de renseignements sur la cité des Doges à cette époque.

    La date précise du scénario n’est pas, dans l’absolu, très importante mais il est conseillé de le situer peu de temps après les années 1776-1778. Ou mieux, même, pendant ces années-là. En effet, ces quelques années voient à plusieurs reprises la révision de la Ricondotta, le texte juridique concédé par les Doges et qui définit le statut des juifs du Ghetto de Venise. Alors que la Sérénissime avait toujours eu la réputation de se montrer plutôt ouverte et tolérante vis à vis de ses juifs, ces révisions vont dans le sens d’une plus grande dureté. Ainsi, il n’est plus autorisé aux résidents juifs d’employer du personnel chrétien ou, surtout, pour ce qui va intéresser le thème de ce scénario, il leur est désormais fait interdiction de commercer les produits alimentaires. Cela laisse imaginer le climat de suspicion qui règne alors dans la Cité comme, il est vrai, sans doute, dans toute l’Europe.

    Les personnages des joueurs peuvent avoir à peu près tous les profils possibles. Ils doivent toutefois tous être des proches d’un des protagonistes du scénario, Giuseppe Vicario. Celui-ci était déjà un PNJ central du précédent scénario « Un c(h)oeur plein d’illusions ». Idéalement, le présent scénario en sera la suite. Il reprend en effet un certain nombre d’éléments de celui-ci. Pour la chronologie, il peut être placé seulement quelques mois après ou, mieux, quelques années. Durant ce laps de temps, les PJs n’ont plus  eu beaucoup de nouvelles du bon luthier qui, terrassé par le chagrin, s’est de plus en plus enfermé dans son atelier.

    Le cas de l’intégration des PJs dans le scénario sera spécifiquement traité dans le paragraphe « Entrée des artistes ».

    Ouverture

    Une large partie de l’intérêt de ce scénario repose sur l’ambiance bien plus que sur l’intrigue ou que sur les actions des personnages. Le MJ devra donc veiller à distiller, dès le début de la partie, cette ambiance spécifique.

    Voici quelques points importants qu’il lui faudra mettre en avant au fil des déplacements et des rencontres des personnages :

    · c’est la canicule ; le scénario se déroule durant une chaude fin d’été, l’air est étouffant et le vent venu de la lagune ne parvient pas à rafraîchir l’atmosphère. Les passants, comme les chats, cherchent l’ombre des calle les plus étroites. Les exhalaisons des canaux les moins bien curés commencent à être insupportables par endroits. Les réactions des habitants sont contrastées mais toujours surprenantes : certains semblent amorphes, comme terrassés par la chaleur écrasante, d’autres semblent à bout de patience, prêts à exploser, les nerfs chauffés à blanc.

    · la ville souffre d’une inquiétante pénurie d’eau ; à Venise, l’approvisionnement en eau potable a toujours été un problème majeur. A fortiori au sortir d’une période de sécheresse intense comme c’est le cas au début de ce scénario. Les puits et citernes sont déjà en temps normal sous dimensionnés pour la population de la Cité mais là leur niveau baisse pendant qu’ils sont sollicités comme jamais par des habitants assoiffés. De nombreuses petites anecdotes pourront être mises en scène par le MJ dans ce sens : l’eau des PJs est rationnée dans les auberges ou osteria qu’ils fréquentent, un couple se dispute dans la rue à propos d’une cruche renversée, des matrones encombrées de cruches vides expriment leur mécontentement pendant qu’elles sont refoulées sans ménagement par des gardes qui viennent de faire fermer un puits à sec, des vendeurs d’eau venus de Mestre accostent le long des quais d’un petit canal pour vendre à prix d’or de l’eau fraîche venue de l’intérieur des terres…

    · le climat est à l’antijudaïsme, voire à l’antisémitisme de plus en plus marqué au fil du scénario ; rappelons d’abord que la chose n’est pas si courante à Venise, ville ouverte à toutes les influences, notamment orientales et, en cela, naturellement portée vers la tolérance et le multiculturalisme. Tous les PJs, qu’ils soient vénitiens ou simples voyageurs savent cela et le MJ devra bien prendre garde de le leur rappeler. Comme on l’a vu plus haut, la situation s’est quelque peu dégradée récemment, sans doute alimentée par les aigreurs suscitées par le lent déclin de la ville. Toutefois, la tolérance ou, au pire, l’indifférence caractérise encore les relations les plus courantes entre Vénitiens chrétiens et juifs résidents dans le Ghetto. Or, en ce début de scénario, cela ne semble plus le cas et le MJ devra là aussi mettre en scène un certain nombre de petits évènements qui, mis bout à bout, informeront sans ambiguïté les PJs du climat exceptionnel du moment. Cela pourra bien sûr être des conversations acides, des quolibets ou des menaces proférés sur le passage d’un juif, de cruels jeux d’enfants ou, enfin, une agression physique qui se terminera sans trop de mal par l’intervention de passants modérés ou, mieux, des PJs.

    La peste !?

    Une fois l’ambiance installée, après que les joueurs aient fait quelque peu évoluer leurs personnages dans la Cité et les faire vaquer à leurs éventuelles occupations, le moment est venu pour le MJ de précipiter les évènements en les faisant assister fortuitement à une scène qui va les conduire à comprendre qu’il se passe des choses inhabituelles dans la Cité des Doges écrasée par le soleil.

    Alors qu’ils traversent l’anecdotique campo delle gate (la place des chats…) pour se rendre chez une de leurs connaissances (ou chez un commerçant ou peu importe, à vrai dire…) dans une partie populaire du quartier de Castello (à l’est de la ville), l’attention des PJs est attirée par des cris venus d’une des maisons bordant la place. A sa fenêtre, une forte femme d’un âge déjà avancé crie après le pauvre bougre qui est sans doute son époux qui sort de la maison en titubant. Des quatre coins du campo, des rires et autres remarques amusées fusent déjà. Toutefois, tous s’arrêtent lorsque l’homme s’écroule sur le pavé, gémissant et se tordant de douleurs. La femme pousse un dernier cri strident avant de s’évanouir derrière ses persiennes.

    Les PJs accourront sans doute pour venir en aide à l’homme. Ils ne sont pas les seuls et, très vite, une trentaine de voisins de tous âges et sexes sont agglutinés en plein soleil au milieu du campo. L’homme, âgé d’une quarantaine d’années mais émacié et le cheveu rare, en parait dix de plus. Il se tient les entrailles, gémit et bave abondamment. Il semble avoir du mal à respirer. Son teint est étonnamment pâle, faisant ressortir le bleu de ses veines. Il est très près de tomber inconscient. Un PJ médecin peinera à donner un diagnostic au premier coup d’œil. Il est par contre certain que l’homme est dans un état grave et que cela n’a, bien évidemment, rien à voir avec l’abus d’alcool.

    Alors que les observateurs les plus raisonnables (au nombre desquels, sans doute, les PJs) mettent l’homme à l’ombre et tentent de lui trouver une eau fraîche et saine, que quelques matrones s’inquiètent de l’état de la femme, d’autres voisins, semblant avoir déjà enterré le pauvre malade, commencent à s’exciter, à parler haut et fort. S’ils s’intéressent à leurs gesticulations, les PJs peuvent noter dans le brouhaha incohérent la redondance de deux termes trop souvent associés au fil des siècles « peste » et « juifs ».

    Au bout de quelques minutes, la garde de la Sérénissime arrive. On fait amener le mourant et disperser la foule. Celle-ci rechigne et quelques insultes fusent. La foule semble vraiment avoir quelque chose à reprocher aux autorités. Cela incite les gardes à faire preuve de zèle et ils se mettent à relever le nom des présents. A moins qu’ils se soient éclipsés dès leur arrivée, les PJs n’y coupent pas.

    Si les PJs restent, ils constatent que, dès le départ de la garde, les conversations enflammées du voisinage repartent de plus belle. Ces gens simples sont angoissés et ne demandent pas mieux que de partager leurs inquiétudes avec d’autres Vénitiens. Il apparaît que suite à plusieurs cas de maladies inexpliquées, les gens du peuple commencent à évoquer l’apparition d’une possible peste (ou, tout du moins, une épidémie quelconque se cachant derrière ce nom générique et anxiogène). Comme il est notoire (les PJs pourront le savoir ou le vérifier aisément) que la peste n’a plus frappé de façon significative la Cité des Doges depuis 1630, cette soudaine épidémie inquiète : on s’interroge sur sa nature et sa provenance. En pareil cas, les regards soupçonneux se tournent vite vers les juifs. Comme ailleurs en Europe, une réputation calomnieuse en fait de possibles empoisonneurs de puits, de sources ou d’aliments. Enfin, la garde a été prise à parti car la populace estime globalement que la Sérénissime se montre trop laxiste vis à vis des juifs qui, « c’est bien connu » (et là, comme on l’a vu, un PJ renseigné se montrera plus nuancé), sont comme coqs en pâte à Venise.

    En conclusion et à moins que les PJs aient pu, par leurs discours, apaiser les esprits, quelques jeunes excités s’en vont séance tenante vers le Ghetto pour aller voir « ce que les Juifs trament ». Le plus inquiétant est que certains s’équipent de bâtons et de pierres avant de se mettre en chemin.

     

    (à suivre sur le forum de la Cour...)

     


    L'intérêt de cet article de blog est aussi de vous livrer quelques bonus utiles, des illustrations et des liens vers de la doc en ligne.

     

    En haut de cet article, vous avez pu admirer le fameux costume des Medici della peste dans un dessin d'époque de Giovanni Grevembroch. Du même artiste, voici, ci-dessous, un juif du Ghetto.

     


    Faute, cette fois-ci, d'avoir le droit à des oeuvres de grands maîtres pour représenter les lieux de l'action, on se contentera de photographies modernes.

     

    En ce qui concerne le Campo delle gate, je vous conseille de consulter cette page et ses 8 photos sur le site e-Venise. Pour le Ghetto, le même site propose plusieurs pages courtes mais précieuses. Voici également une vue générale du campo du Ghetto Nuovo qui permet de bien se représenter la hauteur des bâtiments qui s'y trouvent :

     

    Comme la dernière fois, autre aide de jeu plus que conseillée : une solide carte de Venise de l'époque. Faîtes donc une recherche sur le site de la Library du Congrès. Vous trouverez une carte de 1729 donc là aussi un peu précoce mais remarquablement claire et précise.


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  • Commentaires

    1
    Jeudi 23 Avril 2009 à 10:45
    Merci, pitche ! Tu as vraiment bon goût ;-!
    2
    pitche
    Mercredi 17 Septembre 2014 à 11:08
    un superbe scénario qui a recueilli mon vote :) parfait pour O & L, bien charpenté, décrit, une Histoire et une sorte de mini-campagne :D
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