• Tenga : compte-rendu de lecture

    Pffff, encore un fanboy qui va dire du bien de ce jeu auquel il n'a pas encore joué...

     

    Bon, c'est un peu vrai mais pas que.

     

    Tout d'abord, pour éclairer mon propos, je voudrais préciser qu'il est difficile dans une population telle que celle des rôlistes de trouver un individu moins fan du Japon que votre serviteur. Ne vous trompez pas : j'aime le Japon et les japonais, je pleure sur leur sort post-tsunami, j'adorerai visiter un jour ce beau (mais lointain) pays. Seulement, je n'ai aucune attirance pour le jdr japonisant. Peut-être que Mireille Dumas pourrait expliquer ça par un achat trop précoce et un peu traumatisant du Bushido de FGU (beurk...) ? Par un ras-le-bol plus ou moins inconscient des a priori "la culture du Japon, c'est trop super, même les petites culottes et le suicide, c'est de l'art chez eux, tu peux trop pas comprendre..." trop courants à mon goût dans la belle jeunesse qui m'entoure ?

     

    Bon, j'en sais rien mais vous avez là derrière le clavier un rôliste de plus de 30 ans qui n'a pourtant pas une seule partie de L5R derrière lui. Aucune. Notez que je n'en tire aucune fierté mais c'est comme ça.

     

    Donc, comme vous l'imaginez, Tenga, je ne l'ai pas vraiment acheté et lu dans l'espoir d'en faire un jour une partie (encore que, tout est possible, je l'ai au moins évoqué de façon informelle avec de possibles joueurs, on verra...). J'ai tout misé sur Brand, en fait. J'aime ses articles dans Casus ou sur son blog ou ailleurs. Donc, je me suis dit que tout un jeu de sa plume, ce serait top à lire. Et puis, un jdr historique en format court, allez savoir pourquoi, ça m'intéresse...

     

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    Comme vous le savez déjà probablement si vous êtes un minimum connecté (vous lisez présentement un blog donc...), Tenga a reçu un accueil presque unanimement enthousiaste.

     

    La première chose que je voudrais dire, c'est que c'est mérité. Cherchez pas : même quand on n'éprouve aucune attirance pour le jdr japonisant, même si on n'est pas un fanboy de Brand, on ne peut que trouver ce jeu bon. Objectivement bon. Je veux dire par là que ce jeu remplit parfaitement son office : il est l'aboutissement d'une longue réflexion, d'un travail minutieux pour apporter les meilleures réponses à la problématique de départ qui était "comment réussir à faire jouer des histoires passionnantes à un groupe de personnages dans le turbulent Japon du 16ème siècle ?". Tout le jeu tend vers cet objectif sans concession à des considérations parasites (vieille routine rôliste, effets de mode, pression commerciale...). La niche est étroite (c'est le Japon, c'est le 16ème, c'est historique) mais elle est désormais épuisée : on voit mal ce qu'on pourrait un jour trouver de plus ou de mieux sur le sujet. Bref : du bon boulot.

     

    Je ne vais pas détailler ici les principes du jeu, pas même les points forts ou novateurs (gestion du groupe, karma...). Soit vous me faîtes confiance et vous vous réjouissez déjà de lire tout ça, soit vous trouverez tout cela maintes fois répété dans Casus, sur le GROG, les forums...

     

    Dans ce CR, je vais me concentrer, tout d'abord, sur des points que j'ai aimés mais dont j'ai moins souvent lu les louanges dans les autres CR et critiques (je ne les ai pas toutes lues, hein...). Ensuite, j'aborderai les points du jeu que j'ai moins aimé (sacrilège !) ou qui sont moins réussis que tout le reste de mon point de vue.

     

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    Trivialement, je voudrais commencer par souligner l'étonnante densité du propos : j'ai eu l'impression d'avoir autant d'infos et de matériel à jouer que dans bien des 400 pages grand format tout couleur papier glacé que je ne nommerai pas. La maquette est sobre et efficace, l'écriture est dépouillée de tout gras inutile... par conséquent, chaque page est remplie au maximum de sa capacité. De ce fait, Tenga, bien que ne mesurant que 192 pages au format JD habituel propose un copieux chapitre de pur background, un scénario, un bestiaire, des cartes, des listes de fiefs, des tables aléatoires, etc. A 29 euros, c'est un miracle de rapport qualité/quantité/prix.

     

    Je voudrais aussi revenir sur le chapitre consacré au surnaturel, aux kami et autres manifestations divines. Il est parfois le seul élément décrié dans les critiques que j'ai lues ou, à tout le moins, un passage snobé par les "vrais" fans de jeux historiques. Humblement, je pense qu'ils se trompent. Tenga n'aurait pas pu, sans ce chapitre là, être un vrai jdr historique sur le Japon. Comment émuler les soubresauts du destin de héros japonais si on n'y intègre pas la puissance des forces divines ? La récente catastrophe qui a frappé le Japon a encore une fois mis en exergue le caracrère injuste et terrible de la nature qui les entoure. Sans le recours à la science moderne, l'incompréhensible ne peut être toléré que par la création d'un imaginaire mythique salvateur pour les consciences. Faire l'impasse sur ce sujet aurait été une faute. Comme en plus, c'est remarquablement traité, c'est du bonheur.

     

    Enfin, ce qui est remarquable dans le système de jeu mis en oeuvre dans Tenga, c'est son caractère total : tout est dans tout. En clair, chaque point de règle trouve son écho dans les autres points de règle. Le jeu n'est pas composé de modules à additionner (les actions lambda, le combat, le surnaturel, l'expérience...) qui auraient plus ou moins une existence autonome. Non, les mêmes principes sous-jacents se retrouvent partout et, par exemple, ce que vous avez défini lors de la phase de création de groupe ou d'écriture du futur destin de votre personnage pourra très bien vous servir au coeur d'un combat. Contrepartie inévitable, tout ceci rend le système de jeu (pourtant simple et, donc, très cohérent) assez délicat à appréhender : il faudra bien avoir tout lu et tout compris avant de pouvoir vous lancer dans votre 1ère partie.

     

    Oups, mine de rien, je viens de basculer dans les points négatifs ! ^^

     

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    En fait, la principale (seule ?) déception qui accompagne ma lecture de Tenga, c'est la non-résolution de l'impasse qui condamne (pour le moment ?) les jeux "orientés PJs" à être incompatibles avec les scénarios prêts-à-jouer.

     

    Tenga est donc un jeu résolument "orienté PJs" et ça, c'est bien. Il ne s'agit pas clamer l'impérialisme de ce principe narrativiste, loin de là ! Il y a de la place pour tous les types de jeu, notamment ceux qui consistent à mettre en scène de belles histoires écrites d'avance ou même ceux dont le sel est de résoudre des situations de combat tactiques. Mais, en français, il y avait peu (pas ?) de jeu de ce type pour le moment. Ouvrons les fenêtres et, contrairement à ce que  pontifient certains, découvrons toutes les facettes du jeu de rôle. Ce loisir ne s'en portera que mieux.

     

    Donc, bref, "orienté PJs", cela veut dire que ce qui importe, c'est l'histoire que les PJs ensemble vont tracer avec le MJ, pas les aventures auxquelles ils vont assister plus ou moins passivement. Le groupe des PJs est au coeur de l'intrigue et la façon dont la création de groupe précède celle des PJs, la façon dont les joueurs doivent décider à l'avance des destins possibles de leur personnage... tout cela (tout Tenga, en fait) contribue à cet objectif : placer les PJs au coeur de l'intrigue.

     

    Dans ce cadre, on comprendra que choisir soigneusement son personnage est particulièrement important : il faut se sentir concerné par son destin ! Brand propose donc dans le jeu pas moins de 54 archétypes différents afin qu'il y en ait pour tout le monde. Aux joueurs de se débrouiller dans leurs choix pour former un groupe cohérent avec tout ça ; c'est pour cela que la création de groupe précède ou, au moins, accompagne, celle des personnages.

     

    Mais quand on lit le scénario du livre de base, paf : le soufflé retombe. Il s'agit d'un scénario très intéressant, épique et tendu à souhait... mais que je ne souhaite pour rien au monde avoir à faire jouer à un groupe essentiellement à base d'ouvriers zen et de potiers effacés (des archtéypes parmi les 54) ! Ils ne survivraient pas au premier combat et leur karma leur dirait vite d'aller se carrer les miches le plus loin possible de ce boxon géopolitique. ^^

     

    A ce titre, on est surpris qu'afin de limiter le risque de ce genre de hiatus Brand ne se soit pas concentré sur des personnages guerriers, diplomates ou espions. Cela aurait suffi pour proposer aux joueurs de la diversité et surtout ça aurait été plus en accord avec le contexte exposé fait de guerres incessantes et de coups tordus politiques.

     

    Ma dernière critique est justement adressée à cet exposé sur le contexte historique et géopolitique. J'ai déjà fait remarquer qu'il était remarquablement troussé : dense et, me semble-t-il, complet sur environ 60 pages. Il n'en reste pas moins que, peut-être par déformation professionnelle, c'est toujours le moment que je redoute dans la découverte des jdr historiques : je me suis trop souvent fait un peu chier lors de lectures passées  (pas de noms...) et là j'espérais que Brand allait me bluffer par un tour de passe-passe sorti de sa boîte à outils magique pour l'exposer de façon novatrice et ludique.

     

    Et donc... non. Que du classique. Bien fait. Mais classique.

     

    Du coup, je ne suis décidément pas sûr de mettre en scène un jour mon premier scénario japonisant. Mais peu importe, sur ce point, je partais perdant ! A l'impossible...

     

    Par contre, ce qui est sûr, c'est que je ne regrette pas cette stimulante lecture pour une mise de base si raisonnable. Après mes précédentes expériences heureuses avec Hellywood et Warsaw, encore un jeu John Doe qui fait du bien au cerveau et à l'imaginaire : bravo à eux tous !

     

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  • Commentaires

    1
    Mercredi 13 Avril 2011 à 18:32

    C'est un jeu qui m'a aussi impressionné à sa lecture. Les probabilités que j'y joue sont à peu près nulles (voire, dans les mauvais jours, négatives), mais il se lit bien et dégage une impression de sérieux-pas-chiant.

    2
    Jeudi 14 Avril 2011 à 01:00

    Merci msieur !

    3
    Doji Satori
    Mercredi 17 Septembre 2014 à 10:58

    Je suis du même avis que toi concernant la magie qui est le chapitre qui m'a le plus bluffé tant je le trouve bien "inséré" (à défaut de trouver un mot plus adéquat) dans l'image que j'ai du Japon de cette époque et de ce que j'attends d'un système / contexte de magie pour un jeu "historique" (mais peut être aussi pour moi que c'est le chapitre où j'ai le plus gros "effet de surprise).

    Je comprends (et partage dans une moindre mesure) le décallage entre archétypes proposés et scénario du livre mais de mon point de vue (et n'engageant que moi), le scénario s'inscrit clairement dans un contexte "tenka fuku" c'est à dire proposant de jouer un groupe de buke ("samuraï si on veut) tel qu'il est défini dans les différentes suggestions de groupe / campagne et qui plus est il se pose dans l'historique en mettant les PJ au coeur du changement.

    Certes, il aurait pu être proposé comme scénar du bouquin de jouer des individus du peuple mais je gage que cela aurait exposé Brand à bien d'autres critiques comme celle bien souvent "jouer du quotidien chiant" ... 

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