• Guns 1720 bis : la nouvelle.


    La plaine était encore déserte. Les herbes hautes jaunies par le soleil équatorial ondulaient légèrement mais aucun pied rageur ne venait encore les fouler.


    Du haut du promontoire, l'homme semblait pourtant scruter le danger à venir.

    "Chevalier ! Chevalier !"

    Un individu grassouillet et débraillé, vêtu d'une chemise sale et d'un chapeau de paille ayant connu des jours meilleurs, accourait, suant et soufflant.

    "Chevalier ! Ils... ils arrivent ! Ils vont nous massacrer."

    L'homme, toujours scrutant l'horizon, lui répondit la voix claire et posée, en désignant du menton l'étendue déserte qui s'étendait à ses pieds :

    "Allons, Gros Pierre, visiblement, nous avons tout le temps de recevoir ces bons messieurs comme il le faut."

    "Mais, mais... voyons, mon Maître : ils sont au moins douze. Et puis... ce sont des SAUVAGES !!"

    "Aha, rassure-toi, Gros Pierre. Tu vas pouvoir courir te cacher. Mais avant cela, sois un bon valet : apporte-moi mes deux fusils. Et bien sûr, tu m'amènes Albert aussi."

    "A... Albert ?"

    "Et bien oui, nigaud. Crois-tu que deux coups suffiront à arrêter ces Naturels ? Allons, allons..."


    Couine, couine, couine... Quelques instants s'étaient écoulés depuis que le valet s'était eclipsé et voilà déjà qu'il revenait bien chargé. Dans son dos, en bandoulières, il portait deux solides fusils richement ornés. Mais surtout... couine, couine, couine... dans un lancinant grincement de roulettes mal graissées, il poussait devant lui jusqu'en haut du promontoire, un étrange personnage. Sans doute le dénommé Albert.

    Ce dernier avait l'apparence d'un valet de qualité avec perruque et livrée impeccable. Il en avait d'ailleurs aussi le port, sévère, et l'expression, marmoréenne. Assurément un tout autre standing que Gros Pierre. Couine, couine, couine... pourtant, toute la moitié inférieure de son corps n'était qu'un pied en bois terminé par quatre roulettes de métal. Albert n'était qu'un automate.

    Aussitôt à sa portée, sans mot dire, le Chevalier s'empara des deux fusils, en vérifia le chargement, puis installa près de lui, légèrement en retrait, l'automate. Il remonta à fond la volumineuse clef plantée dans le dos d'Albert. Gros Pierre, les yeux écarquillés de terreur regarda faire son maître quelques instants puis, se sentant de toute façon impuissant, détala ventre à terre.


    Presque aussitôt, une douzaine d'Hommes Naturels, emplumés et armés jusqu'aux dents de casse-têtes et autres haches de pierre, apparurent au loin, s'avançant l'air déterminé vers le chevalier.

    Celui-ci épaula la première de ses armes, arma le mécanisme en silex puis attendit, droit comme un i. Derrière lui, Albert, bien que remonté à bloc, restait toujours immobile, les bras figés dans une étrange danse interrompue.

    Quand les Hommes naturels furent suffisamment près, le chevalier déclencha le mécanisme. Pffffouu. La balle atteignit le premier guerrier au front, créant une certaine panique dans le rang des Naturels.

    Le chevalier, quant à lui, gardant un calme impressionnant, saisit sa deuxième arme d'une main, tandis que, de l'autre, il confiait le fusil encore fumant aux mains insensibles de Albert. Aussitôt l'arme entre ses mains de porcelaine, Albert prit vie et, dans une suite de geste implacablement réglée commença à recharger. Pendant ce temps, le chevalier avait déjà épaulé sa deuxième arme.

    Cet étrange ballet à deux, homme et machine, dura de longues minutes. Devant l'inattendue cadence de tir de cet homme seul, les Naturels n'avaient eu d'autre recours que de se disperser pour tenter de s'abriter derrière les maigres obstacles naturels qui s'offraient à eux. Déjà, cinq d'entre eux gisaient à terre, mortellement touchés par les armes consciencieusement déchargées par le chevalier et rechargées par son allié mécanique.

    Le chevalier, qui venait cette fois-ci de manquer sa cible, se retourna pour se saisir de la deuxième arme des mains d'Albert. Pourtant, celui-ci ne la tendait pas à son maître humain. La gestuelle minutieuse sans doute légèrement déréglée par les rudes conditions naturelles ou par le manque d'entretien n'avait pu aller au bout de la série et l'automate s'était figé en position d'attente. La baguette servant à bourrer la charge au fond du canon était brisée et, visiblement, coincée dans le canon, rendant l'arme inutilisable. Comble de malheur, l'incident imprévu avait momentanément déprogrammé l'automate.

    Le chevalier se retourna, son unique arme déchargée à la main. Mus par un instinct sanguinaire, les guerriers survivants avaient abandonné leur cachette et se dirigeaient vers le promontoire, bien décidés à venger leurs compagnons.

    Le chevalier eut une moue ennuyée alors qu'il tirait son épée :

    "Pourquoi diable n'ai-je point fait confiance à cet ingénieur autrichien que je croisai la dernière fois au Palais Royal ? Si j'avais adopté sa toute nouvelle carabine à rechargement automatique, je ne serais pas dans un si grand embarras..."

     
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  • Commentaires

    1
    JeFF
    Mercredi 17 Septembre 2014 à 11:17
        ...puis attendit, droit comme un U ...

    désolé ... :))
    2
    Narbeuh
    Mercredi 17 Septembre 2014 à 11:17
    Ah, c'est malin, pffff... Bon, je m'en vais corriger ça.

    Quand mes fichiers seront plus présentables, je vois déjà à qui je pourrais envoyer ça pour relecture et correction orthographique ;-!
    3
    Vignemesle
    Mercredi 17 Septembre 2014 à 11:17
    "Pourquoi diable n'ai-je point fait confiance à cet ingénieur autrichien que je croisai (passé simple) la dernière fois au Palais Royal ? Si j'avais adopté sa toute nouvelle carabine à rechargement automatique, je ne serais (conditionnel) pas dans un si grand embarras..."

    Il y a aussi la relecture grammaire/conjugaison, cher ami, et vous avez mmon adresse... ;-)

    Blague à part, ça sort d'où, le croquis ?

    V.
    4
    Narbeuh
    Mercredi 17 Septembre 2014 à 11:17
    Eh bien, je vois que les lecteurs pointus ne manquent pas sur Mondes en Chantier... à nouveau corrigé, merci !

    Tiens, cher Vignemesle, c'est vrai que je n'y pensais pas mais tu dois avoir quelques lumières à m'apporter sur les automates et autres illusions au 18ème siècle, non ?

    Ici, il s'agit du dessin d'un automate reproduisant celui de Von Kempelen (on reconnait le turban du Turc). Si tu veux d'autres précisions : mail.
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