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Axiomatique : le verdict sur Greg Egan
Jusqu'ici, un doute persistait. Je n'ai pourtant pas ménagé mes efforts, j'y suis revenu tant que j'ai pu avec un grand sens de l"opiniatreté mais rien à faire : il restait toujours un doute.
Je parle de ma fréquentation de l'oeuvre de Greg Egan, auteur australien de SF ou d'anticipation de type "hardscience" (très réaliste si vous voulez). J'ai lu ses quatre romans disponibles en français : dans le désordre, La cité des permutants, Téranésie, Isolation et L'énigme de l'univers. Il est d'ailleurs bien peu d'auteurs de ce genre dont j'ai lu autant de livres (à part Dick et Gibson, peut-être Greg Bear). C'est dire que son oeuvre m'intéresse au plus haut point. Toutefois, en refermant chacun de ses tomans, j'ai toujours eu une petite amertume, un goût d'insatisfaction.
Pour caricaturer, on peut dire que ces 4 romans sont composés de trois ingrédients chacun présent en part égale mais ne formant pas forcément une pâte aussi lisse et homogène qu'on le souhaiterait. Un premier tiers est constitué d'une description d'un futur proche ultraréaliste et diablement convaincant, un peu à la façon du Rainbows End de Vinge. Un second tiers est composé d'une utilisation vertigineuse des spéculations scientifiques, en général autour des thèmes de la virtualité, de l'humanité ou de la physique quantique. Tout se gâte au dernier tiers (qui n'est pas toujours la dernière partie des pages du roman, plus souvent le milieu) qui est constitué d'un copieux et indigeste blabla scientifique qui donne parfois l'impression de lire un manuel de vulgarisation de sciences physiques. Ce dernier tiers, qu je maudis à chaque fois, casse totalement le rythme de l'intrigue et dénature les personnages qui se transforment, d'un coup d'un seul, en pantins animés par Egan pour servir sa démonstration. Au final, le livre me tombe immanquablement des mains.
Depuis quelques temps, Le Bélial a entrepris la colossale oeuvre de publier l'intégrale des nouvelles de l'auteur en trois épais volumes. Je me suis, bien évidemment, jeté sur le 1er volume : Axiomatique. Voici enfin l'occasion de savoir : escroc ou génie ? Sur la durée d'une nouvelle, quel "tiers" Egan a-t-il choisi de privilégier ?
Le verdict est sans appel : ce recueil est, à mon goût, un chef d'oeuvre du genre. Les nouvelles sont forcément, c'est la loi du genre, d'intérêt inégal mais la plupart sont superbes. Elles privilégient très sensiblement le "tiers" façon vertige spéculatif avec une préférence marquée pour de véritables interrogations epistémologiques (= philosophie des sciences, si on veut) de grande valeur et un sens maîtrisé de la chute qui ne gâche rien. Le côté humaniste de Greg Egan apparaît d'ailleurs bien plus clairement dans ce premier recueil que dans ses romans, un peu froids. Sans remettre en cause l'intérêt du progrès technologique, les nouvelles abordent prioritairement la transformation ou la persistance de la notion d'humanité et de ses sentiments spécifiques (ainsi, l'amour) face aux machines, à la cyber-communication, aux manipulations biotechnologiques... L'épineuse question de l'accessibilité du plus grand nombre aux merveilles technologiques est aussi fréquemment sollicitée.
Dans l'optique d'une réutilisation en jeux de rôles (pour TAZ évidemment), le bilan est moins évident. La haute tenue du contenu spéculatif interdit à priori de transformer tout cela en intrigues à jeter en patures à des brutes cybernétisées et surarmées (si, si, ne niez pas) ! Toutefois, la lecture de ce recueil est hautement recommandée à tout meneur dans un monde d'anticipation réaliste pour cerner un peu mieux la psychologie de PJs ou PNJs confrontés aux évolutions scientifiques et techniques (la virtualité, la survie de l'esprit au corps, les implants modiifiants la psychologie - en fait, les moddies de G. A. Effinger...).
En attendant, je suis déjà plongé dans Radieux, le deuxième volume de l'intégrale. Bientôt des échos sur Mondes en Chantier.
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