• Le jour où l'Angleterre cessa d'être une île

    Un jour d'octobre 1908, une annonce qui vaut son pesant d'or parait dans le Daily mail le quotidien numéro 1 du Londres d'alors. Ce n'est pas un lecteur à la recherche de quoi que ce soit qui la rédige. C'est le directeur en personne du "Daily Mail", lord Northdiffe. La voici :

     

    "J'offre 100 livres sterling de récompense pour la traversée de la Manche, d'Angleterre en France, ou inversement. Le passage devra avoir lieu de jour. Sans aucun contact avec l'eau. Au moyen d'un appareil sans sustentation par un gaz léger."

     

    Manifestation du "fair play" britannique ? sans aucun doute, car, à cette époque, les seuls capables de venir à bout du pari de lord Morthcliffe étaient les français. Il y avait en france les meilleurs pilotes et les meilleurs ingénieurs et il s'agissait souvent des mêmes d'ailleurs, les ingénieurs étant leurs propres pilotes. Résultat : là où Latham échoua, Blériot réussit.

     

    En ce qui concerne l'annonce, elle constitue une offre intéressante, au titre de la somme offerte d'abord et surtout au titre de l'exploit et du défi lancé aux nombreux "fous volants" de France.

     

    Deux instruments à bord

    Le 19 juillet, en effet, Latham, autre fameux de la Belle Epoque, a échoué. Il est tombé dans la Manche mais, heureusement, il sait nager, et un bateau de pêche le recueille une demi-heure après l'accident. bleriot02.jpg

    Deux jours après, Louis Blériot arrive avec son "Blériot nXI" : 8 m, 50 d'envergure, 7 m, 53 de longueur, un poids de 310 kgs, un  moteur de 18 cv et une vitesse maximale de l'ordre de 80 km/heure.

    Pendant trois jours, le temps est carrément mauvais : pas d'espoir pour la tentative. L'équipe est tendue. Il y a là Maurice Leblanc, qui veille à l'intendance, Yves Lamenais, un officier de la Royale spécialiste des méthodes américaines chargé de la sécurité, Théophraste Vignemesle, l'aventurier bien connu et Georges lampier, envoyé spécial du célèbre journal parisien l'Echo de l'Univers". D'ailleurs Blériot lui-même n'est pas enthousiaste. Il s'est décidé brusquement mais durant ces trois jours d'interrogation, il a eu le temps de réfléchir. Le nXI n'est pas son meilleur avion. Il lui préfère le nXII avec moteur de 35 cv. Meilleures performances qui lui ont permis d'ailleurs, de faire ses preuves : il a réussi à voler 47,227 km et la manche, là où il se trouve, ne fait que 33 km...

      

    Le temps s'améliore brusquement dans la soirée du 24. Il sera splendide le lendemain. Mais Blériot ne le sait pas encore. Il va dormir. L'appareil est garé dans une ferme, la ferme Yves-Lamenais.jpgdes Barraques, et il est simplement protégé par une toile. A deux heures du matin, Leblanc réveille Blériot. Leblanc, c'est l'ami de toujours et le confident de Blériot. Il le voit hésitant, angoissé. Il souffre encore de brûlures à une jambe, séquelles d'un vol malheureux et mouvementé. Et puis, il y a l'inquiétude de devoir se poser sur un terrain inconnu, un peu au hasard.

    On se tait, on attend. Leblanc sait qu'il appartient à Blériot seul de décider et il respecte son silence. Réveillant Lamenais qui s'était endormi sur un tas de paille, il va inspecter l'appareil une dernière fois, plus pour se donner le temps, pour vaincre l'angoisse... Il vérifie, mais tout est en place. Il y a un boudin à air placé dans le fuselage, aucun autre instrument à part la fameuse "cloche à huile" du moteur et le niveau d'essence... Deux instruments à bord et c'est tout. Et puis, voilà, cela arrive, Blériot décide de partir. Le soleil se lève, il est quatre heures passées, il fait beau.

     

    Personne ne bronche

    Ce sont les faits, les conditions préalables. Dès lors, on entre dans la légende : il est 4h 41 à la montre à gousset de Théophraste Vignemesle, le 25 juillet 1909. Blériot décolle, atteint rapidement son altitude - 80 à 100 mètres - et au bout de 8 km, dépasse l'"Escopette", destroyer de la Marine Nationale qui se trouvait là, quelques minutes avant le "Blériot" et qui espérait escorter l'avion. A 5h 18 il atterit en Angleterre, ayant parcouru 38 km en 37 minutes - 60 km/ heure de moyenne. En fait ce furent 37 longues minutes car, pour toutes les choses importantes de la vie, les minutes sont longues même si le temps est court.

     

    bleriot imgVoici les propos de Blériot après son arrivée tels qu'ils furent rapportés par l'Echo de l'Univers : "Comment j'ai traversé la Manche ? Je vais vous raconter : je n'y croyais pas, j'espérais même qu'on m'annoncerait du vent, que j'aurais une excuse pour ne pas partir... Non, il faisait beau, tout était prêt. Fidèle au réglement, j'attends que le soleil se lève pour décoller. Un fanion s'agite sur la dune, c'est le signal. Une petite émotion, que va-t-il arriver ? irai-je jusqu'à Douvres ? Ca passe, je ne pense plus qu'au moteur, à l'hélice, tout vibre, je vole, je m'élève progressivement, je vois Leblanc derrière qui m'envoit des signaux. Je vais, je fais mon métier sans impression réelle et d'ailleurs, il me semble que je suis en ballon, et que l'absence du vent me permettrait d'aller en ballon, les mains dans les poches en bloquant les gouvernes. Heureux de mon appareil, de mon moteur Anzani qui ne bronchait pas, on avait semé l'Escopette et je me suis retrouvé seul : à partir de ce moment, j'ai braqué mon regard sur le niveau d'huile, sur celui de l'essence, il n'y avait que la mer devant moi. C'était elle ou moi. Vraiment, cela m'a paru si long que lorsque j'ai apreçu une ligne grise, celle de la côte anglaise, je me suis senti sauvé. Enfin presque. Car, à ce moment, le vent et la brume m'ont saisi comme dans un étau. J'ai l'impression d'avoir eu des hallucinations, je voyais d'étranges visages cruels dans les nuées. J'ai dû lutter, avec mes mains, avec mes yeux. Car je ne voyais plus rien...

     

    Et soudain, des bateaux : ils sedirigent sûrement vers un port. Je les suis. Les matelots m'applaudissent. La falaise est devant moi. Je la longe... Tout à coup, une anfractuosité ! Je m'y précipite en même temps qu'une joie folle m'envahit : je suis au dessus de la terre !

    Au sol, un homme agite un drapeau français. Je descends vers la terre et j'aperçois le rédacteur en chef de l'Echo de l'Univers qui s'égosille tout seul. Brave garçon !..."

      bleriot.jpg

     

    A suivre sur le blog des Mondes en Chantier dans : La course avec l'Escopette !

     

     

     

     

     

     

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