• Place des Grands Gnomes

     

    Comment sortir d’une partie de jeu de rôles. Comment en finir, la quitter ? Comment terminer une campagne mémorable ? Comment changer de jeu ? Comment, par exemple, rompre avec Rêves de Dragons, après lui avoir consacré, comme votre serviteur, plus de sept cent heures de sa vie ? Comment lui dire adieu une fois épuisés les scénarios du commerce et presque tous les scénarios parus dans les magazines ?

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    L'Empire du Roi Joueur

     

    Avouons-le, les jeux de rôles ont une puissance hypnotique qui réside en cela qu'ils nous permettent de participer d'une existence qui nous est inaccessible. Cette participation fictive est un petit miracle sans cesse renouvelé, une sorte de défi car il n'est pas si facile d'agir continuellement comme un autre. Selon Roger Caillois, il n'y a même qu'une règle du jeu qui vaille : celle qui consiste « à fasciner le spectateur, en évitant qu'une faute conduise celui-ci à refuser l'illusion ». Même dans une partie d'échec la préservation du roi se rattache à son assimilation provisoire au Moi du joueur. Celui-ci doit être capable d'investir le plus intensément possible cette convention, et de retirer instantanément cet investissement lorsque la partie est finie. Le jeu est ainsi une création dont le joueur reste maître par empire selon Karl Groos.

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    L'ancêtre du No-Life

     

    Mais l'état transitoire entre le monde du jeu et la vraie vie où l'on s'ennuie peut avoir tendance à se prolonger en nous bien au-delà du moment où l’on repose une dernière fois les dés. Selon la qualité des émotions qu’ils procurent, selon leur puissance addictive, selon leur prégnance symbolique et mentale, et selon la façon dont ils «engramment» leurs codes ludiques dans nos cerveaux, certains jeux nous habitent, et parfois nous squattent, avec une longévité qui excède largement leur temps de partie mesurable. Le risque est alors grand de se retrouver à divaguer dans telle boutique spécialisée à propos de la partie de la veille...


    On ne sait plus si l'on parle du souvenir d'un jeu ou de ... ses souvenirs ! En effet, chaque partie est une manière de représenter le monde, le réceptacle de systèmes de valeurs ou de systèmes formels abstraits (les règles). Elle peut être considérée comme une métaphore du monde. Jouer et/ou inventer un jeu, construire une partie en interaction avec les autres joueurs relève alors d'une activité culturelle de haut niveau, et certains sont allés jusqu'à prétendre que chaque partie jouée est une forme d'œuvre d'art*.

    roliste 

    Sacré rôliste

     

    Selon Johan Huizinga, comme le sacré, le jeu ne vaut qu'à l'intérieur de frontières temporelles et spatiales précises, la durée de la partie. Non pas qu'il annule toutes les lois, il les rendrait plutôt particulièrement lisibles et univoques,  aboutissant par l'intermédiaire des règles à une stylisation extrême de la réalité, une sorte d'épure démocratique puisqu'il tient compte de chaque joueur (il favorise l'intégration, met en avant des enjeux comme le sacrifice, la prise de risque pour l'autre, la protection ... qui ont des réels impacts positifs sur la dynamique d'un groupe).


    Mais lorsque la messe est dite, c'est l'heure de l'abandon et il faut bien dire que dans une vie de rôliste assidu, il n’est pas rare de croiser un syndrome qui s’apparente au «post-coïtum animal triste», une sorte d’affaissement légèrement dépressif qui survient après une immersion intense et prolongée dans le monde d’un jeu dont il a bien fallu achever la partie (de campagne).


    Ainsi, l’expérience rôlistique est parfois si exaltante qu’elle peut que succéder un vide frustrant, le temps que (en général dans la rue au milieu de la nuit) se réajustent nos sens et notre perception du réel. Il y a comme une transition à gérer entre deux états du monde : l’imaginaire où l’on se plonge et le réel qui nous baigne. Finir et quitter un jeu qui a exercé une forte fascination projette le joueur sur la brèche incertaine où se rejoignent ces deux mondes, entre zone d’ébriété et cellule de dégrisement, sous le regard interloqué (et assez bovin) des vrais alcooliques... Là encore, l’ivresse délicieuse et nécessaire du joueur rappelle les ivresses par lesquelles évolue l’amoureux, et l’on est parfois étonné de constater l’énergie morale, le sentiment de bien-être, le stimulant bonheur, la bonne humeur triomphante, la joie tonique que peuvent insuffler les jeux avec lesquels on a le plus d’affinité.

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    La règle du jeu

     

    Chacun d'entre eux a deux faces au moins, indissociables. D'une part, il y a un (des) objet(s) matériel(s) (un écran, une fiche, des dés, peut-être un plateau de jeu et des figurines...) dont l'usage est contraint par les règles du jeu. D'autre part, il y a des valeurs qui renvoient symboliquement au fonctionnement du monde.


    La première face est appelée le « ludant », elle est ce qui permet de jouer. La seconde est ce qui est joué, le « ludé ». Par exemple le jeu Paranoïa permet aux joueurs de se prendre pour des habitants du Complexe Alpha, une ville sous dôme, coupée du reste du monde, régie par un ordinateur central facétieux, qui envoie volontiers ses « citoyens » vers la chambre d'extermination la plus proche à la moindre anicroche. Les joueurs s'essayent ainsi à occuper la place d'ilotes dans une société dominée par des médias aux ordres d'un pouvoir totalitaire et donc paranoïaque. Ils font alors comme s'ils pouvaient risquer d'adhérer au système. D'un côté le ludant « jeu de rôles », de l'autre le ludé « victimes/bourreaux ».

    Cette faculté du jeu de modéliser les valeurs morales, mais aussi formelles du monde, en fait d'ailleurs un outil éducatif potentiellement puissant.

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    La règle du hors-jeu

     

    Il est très fréquent que le jeu soit une reprise symbolique de ce qui se passe dans la réalité. Mais la capacité à s'investir dans le « comme si... » du jeu va aussi de pair** avec une capacité de distinguer le littéral du métaphorique : pour que le jeu existe, il faut qu'il reste un certain écart entre réalité et fiction.


    Il existe donc une certaine ambivalence entre le joueur et le personnage qu'il incarne : il y place une partie de lui-même mais garde toujours un regard critique sur la réalité de cette incarnation - s'il veut éviter de voir arriver les gentils messieurs habillés en blanc...

    C’est pourquoi, le meilleur moyen de rompre avec un jeu que l’on a trop aimé est encore d’en trouver rapidement un autre pour le remplacer, selon le proverbe volage et bienveillant : «Un de perdu, dix de rachetés sur LudikBazar.»


    Vous qui êtes aussi malades que moi vous le savez bien : le seul antidote au jeu, au fond, c’est le jeu. Axiome qui est d'ailleurs à l'origine d'un syndrome bien connu des rôlistes : le syndrome de l'étagère. Il y a probablement de la collectionnite à vouloir aligner des heures et des heures d'aventures en papier que l'on n'aura jamais ne serait-ce que le temps de lire, et encore moins de vivre ou de faire vivre... Mais peut-être aussi n’est-ce là que la vérification moderne d’une loi très ancienne : soigner le mal par le mal. Ou le bien par le bien. Le jeu est le mal qui nous fait du bien. Il nous domine mais notre soumission est consentie. Il nous fait souffrir, échouer, recommencer, nous humilie parfois, mais nous récompense aussi de plaisirs uniques et indicibles. Et les grands jeux s’installent dans nos souvenirs comme autant de grandes histoires d’amour.

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    A la recherche du temps perdu

     

    Chacun a sa madeleine, son ancien personnage fétiche, dont on ne garde parfois qu'une fiche jaunie et un pseudonyme aux origines obscures (comme en témoignent ls threads consacrés à la question sur les forums bien fréquentés ^^). Jouer, c'est jouer à être quelqu'un d'autre, ou bien c'est substituer à l'ordre confus de la réalité des règles précises et arbitraires, qu'il faut pourtant respecter scrupuleusement (selon qu'on favorisera tel ou tel aspect). Cependant, le jeu n'est plaisant que dans la mesure où cette entrée dans le jeu est librement consentie et s'apparente à un acte noble et gratuit, dans ce sens où l'on sait pertinemment qu'il «est condamné à ne rien fonder ni produire, car il est dans son essence d'annuler ses résultats» comme le dit Roger Caillois.

    En quelque sorte un loisir vain mais pas nul, l'essence dont les rêves sont faits, la matrice éternelle des grandes aventures dont on fait les chansons...

     

    Chanson ? Vous avez dit chanson ? Eh, ça reste Mondes en Chantier ici, alors musique !

    gnome ninja 

    Place des grands gnomes de Bardic Kruel

     

    On s’était dit rendez-vous niveau dix

    Mêmes joueurs, même maitre, par Crôm !

    on verra quand on sera niveau dix

    Sur les marches d’la place des Grands Gnomes

     

    Le jour est venu et moi aussi

    Et j'veux pas être le dernier

    Si y'avait plus de monstres à tuer, et si, et si, et si…

    Je fais pas de quartier dans la Tour

     

    C’est fou c’qu’un couloir de donjon

    Rappelle le même couloir de donjon

    Vorpale usée par les coups distribués

    Qu’est-ce que j’ai fait d’ces XP ?

    J'ai détroussé des tas d'lourdots 

    J’ai poignardé des gens dans l’dos (ouais !)

    Dernier couloir avant le Big Boss 

    On est tous là il l'a dans l'os !

     

    On s'était dit rendez-vous dans dix ans

    Même joueurs, même maitre, par Crôm ! 

    On verra quand on s'ra niveau dix 

    Sur les marches d’la place des Grands Gnomes

     

    J’ai déjà eu si souvent besoin d’elle

    La belle soigneuse me relevera t’elle ?

    Elric voulait explorer le souterrain

    Est-il remonté à la surface depuis c'matin ?

    J’ai un peu peur de traverser ce couloir

    S’il est piégé j’me transforme en passoire 

    Devant la boutique de l’armurier

    J’imagine les trouvailles de l’amitié

     

    "T'as pas changé, qu'est-ce tu deviens ?

    T’es triclassé, guerrier-voleur-magicien,

    T’as réussi, tu fais paladin

    Et toi Tobrük, t’es toujours nain niveau un ?

     

    On s'était dit rendez-vous niveau dix 

    Même joueurs, même maitre, par Crôm ! 

    On verra quand on s'ra niveau dix 

    sur les marches d’la place des Grands Gnomes

     

    j’ai connu des armées d’orcs et des armées d’ogres

    Comme vous, comme vous, comme vous

    J’ai rencontré des ours-hiboux, des dragons-ogres

    Comme vous, comme vous, comme vous

     

    Chaque quête mortelle à une nouvelle, a fait place

    Et vous, et vous...et vous

    Et toi le gobelin qu’ambitionnait simplement d’être heureux dans la vie

    As-tu réussi ton pari ?

    Et toi Thorvald, et toi Zorbluk, et toi Profion,

    Et toi … et toi Grand Alf, et toi G'ladriel et toi…

     

    Et bien c’est formidable compagnons

    Aux étourdis on pince le fi...

    (C'est une forme d'humour regrettable) 

    Chaque fois qu'les dés roulent sous la table

    Dans le miroir je vois le reflet

    D’un beholder derrière moi

    Un jet d’sauvegarde je survivrai

    Si c’est un fumble… attendez-moi !

    Attendez-moi ! Attendez-moi !

    Attendez-moi !

    Attendez-moi !

     

     

    On s'était dit rendez-vous niveau dix 

    Même jour, même heure, par Crôm ! 

    On verra quand on s'ra niveau dix 

    Si j’suis d’venu un grand gnome

    Un grand gnome

    Un grand gnoôôôôme ! 

     

    * "ils zont eu des zennuis..."

     

    ** : ou "devrait" aller de pair, vous dirait madame Dumas...

     

     

     

    bobgnomesduchaos

     

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  • Commentaires

    1
    Mercredi 5 Mai 2010 à 18:25

    Excellent la chanson !!!!

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