• La Machine à remonter le temps : l'Affaire des Poisons

    Lorsque l'on se penche sur l'imaginaire des 17ème et 18ème siècles, il est un incontournable : la fascination des poisons, des elixirs (dont celui de Longue Vie, donc) et autres philtres qui font rire. Et dans cette veine empoisonnée, on trouve même le monument des monuments : la célèbrissime Affaire des Poisons qui passionna le siècle de Louis XIV. Bien évidemment, cette Affaire et ses protagonistes sulfureux se retrouvent, en arrière-plan, dans le contexte uchronique de Terra Incognita. Mais, il est vrai, très en retrait. Il faut dire qu'il n'est pas toujours évident de mêler les faits historiques le splus connus avec les exigences du jeu de rôles (quoi ? vous n'avez pas encore  lu Jouer avec l'Histoire ? ). C'est pourtant le défi que se propose de relever David qui souhaite mettre l'Affaire des Poisons sur le devant de la scène en en faisant le cadre d'un futur scénario pour Terra Incognita sur lequel il travaille en ce moment. En attendant de pouvoir vous en dire plus, il vous livre dans cet article une partie du contexte historique qui l'inspire.

     

    Allez, basculez-les dans une autre dimension !

     

    Red an amzer

    A Paris, dans le quartier du Marais, La rue Charles V n’est pas très longue, à peine 200 mètres. C’est Charles V qui a créé le fameux hôtel Saint-Pol dont l’histoire est riche en anecdotes. Le roi Jean le Bon étant fait prisonnier en Angleterre, le dauphin Charles (futur Charles V) se trouva le 22 février 1358 face à plus de 3000 émeutiers qui, dirigés par Etienne Marcel alors prévôt des marchands, massacrèrent Robert de Clermont et Jean de Conflans, les conseillers du jeune dauphin qui fut tout éclaboussé par leur sang et qui n’eut la vie sauve qu’en se soumettant à Etienne Marcel et en se coiffant de son chaperon. Par la suite, Charles fut assez heureux pour s’enfuir de Paris et n’y revenir qu’une fois ses ennemis vaincus et Etienne Marcel passé de vie à trépas. Mais une fois dans sa capitale, il ne voulut plus habiter son palais de la Cité car il lui rappelait par trop de mauvais souvenirs. Alors il fit édifier l’Hôtel Saint-Pol qui se trouva terminé en 1365.

    Mais, vous le savez, le temps ne s’arrête jamais (red an amzer) et, peu à peu, l’hôtel Saint-Pol fut abandonné par les successeurs du Roi Charles V. On disait que c’était pour la raison… qu’on y respirait des odeurs pestilentielles ! Ce qui s’expliquait par le voisinage peu agréable des fossés de l’enceinte de Charles V et la proximité d’un énorme égout longeant la rue Saint Antoine. En 1543, l’Hôtel Saint-Pol fut détruit et l’on perça sur son emplacement les rues qui, aujourd’hui, se nomment Charles V, Beautreillis et Des Lions.

    Le Roi-dément

    Peut-être, en passant dans ces rues, pourrez-vous encore entendre comme l’écho affaibli du rire fou du fils de Charles V qui resta toute sa vie dans l’Hôtel Saint-Pol où il vivait au milieu de la pire vermine et dévoré par les poux. Et pourtant il était Roi de France (et son héritier en droite ligne est aujourd’hui le seul prétendant légitime au trône de France…) ! pour que l’on puisse de temps en temps changer les habits et le linge du Roi (c’est qu’il mordait, l’animal !), son entourage avait imaginé tout un stratagème. On ouvrait brutalement la porte de sa chambre et des domestiques déguisés en sauvages y pénétraient en poussant des cris horribles. Cette apparition bouleversait tant le pauvre roi-dément qu’il se laissait alors enlever ses vêtements et épouiller de sa vermine. Ensuite, on lui mettait du linge propre et l’on n’avait plus qu’à attendre la prochaine mascarade.

    Mais si l’Hôtel Saint-Pol a un passé riche en anecdotes, la Rue Charles V (Rue Saint-Paul) a une histoire encore plus étonnante et infiniment tragique à raconter.

    Une étrange marquise

    Au numéro 12 de ladite rue (12, rue Neuve-Saint-Paul), vous voici dans la cours d’un hôtel qui a été construit en 1620 pour Balthazard Gobelin. En 1651, son fils le marquis de Brinvilliers épouse Marie-Madeleine de Dreux d’Aubray, un bien joli nom et porté par une très jolie jeune femme de 21 ans dont le père est un homme des plus honorables, conseiller d’Etat et Maître des requêtes qui, à l’occasion de ce mariage, donne en dot à sa fille la somme considérable de 200 000 livres. Malheureusement, Marie-Madeleine, bien que mariée, ne mène pas une vie irréprochable et s’affiche un peu trop ostensiblement avec un certain chevalier Godin que le père de celle qui était devenue la marquise de Brinvilliers fait enfermer à la Bastille.

    Godin, durant sa détention, fait la connaissance d’un italien nommé Exili qui est un spécialiste des poisons et de la manière de s’en servir. Une fois sorti de la Bastille, Godin retrouve la marquise et tous deux décident, étant à court d’argent, d’empoisonner le propre père de la marquise. Pour cela, ils vont se servir de ce que l’on appelle alors la « poudre de succession », c’est-à-dire un poison qui, en l’occurrence, est un mélange de venin de crapaud, d’arsenic et de vitriol.

    La marquise étant « dame de charité » a ses entrées à l’Hôtel-Dieu. Belle occasion pour elle d’essayer ses terribles mixtures sur d’innocents malades qu’elle fait ainsi périr. Lorsqu’elle est bien sûre que sa « poudre de succession » est bien au point, elle en fait prendre à son père qui meurt en 1666. Après ce premier crime elle ne s’arrête pas là et empoisonne ses deux frères ! Puis c’est sur son mari qu’elle jette son sinistre regard. Elle lui fait donc prendre la fameuse poudre, mais alors il se passe quelque chose d’étrange. Godin se dit, non sans raison, que si la marquise de Brinvilliers devient veuve, il risque de se trouver dans l’obligation de l’épouser ! Et finalement il n’y tient pas trop… Alors il s’arrange pour verser, sans qu’il s’en doute, du contrepoison au marquis de Brinvilliers qui échappe ainsi à une mort atroce (non sans souffrir abominablement).

    L’heure du repentir

    La marquise avait cinq enfants dont le précepteur était un certain Briancourt qui finit par percer le secret de ces morts subites. Les amants maudits décident alors de le supprimer mais le pauvre homme s’en tire par miracle après d’incroyables péripéties et, coup de théâtre, c’est Godin qui meurt brusquement d’une attaque d’apoplexie !
    On trouve alors chez lui une casette qui renferme 34 lettres écrites de la main de la marquise de Brinvilliers et qui ne laissent aucun doute sur ses horribles crimes. Mais avant qu’on ait pu se saisir d’elle, la marquise s’enfuit et parvient à gagner l’Angleterre à l’issue d’une course-poursuite rocambolesque à travers tout le nord de la France. Par la suite elle décide de se réfugier dans un couvent à Liège, ce qui n’empêche nullement un officier de la police du Roi de venir se saisir d’elle.

    La marquise fit des aveux complets et se réfugia dans une piété apparemment sincère qui fit impression sur tous ceux qui l’approchèrent. Le 16 juillet 1676, elle fut exécutée, comme l’a rapporté Madame de Sévigné : « Enfin, c’en est fait, la Brinvilliers est en l’air ! Son pauvre petit corps a été jeté après l’exécution dans un fort grand feu et ses cendres au vent de sorte que nous la respirons et qu’il va nous prendre quelque humeur empoisonnante dont nous serons tous étonnés. Elle fut jugée hier ; ce matin on lui a lu son arrêt qui était de faire amende honorable à Notre-Dame et d’avoir la tête coupée, son corps brûlé, les cendres au vent. On l’a présentée à la Question. Elle a dit qu’il n’en était pas besoin et qu’elle dirait tout. En effet, jusqu’à cinq heures du soir, elle a conté sa vie encore plus épouvantable qu’on ne le pensait. Elle a empoisonné dix fois de suite son père, elle ne pouvait en venir à bout, ses frères et plusieurs autres et toujours a-t-elle dit sous l’influence de la lune mauvaise.

    Fais ton office bourreau !

    A six heures, on l’a menée en chemise, la corde au cou à Notre-Dame faire amende honorable et puis on l’a remise dans le même tombereau où je l’ai vue, jetée à reculons sur de la paille, un docteur près d’elle, le bourreau de l’autre côté. Pour moi j’étais sur le pont Notre-Dame avec Madame d’Escars, jamais il ne s’est vu tant de monde. Elle dit à son confesseur en chemin de faire mettre le bourreau devant elle « afin, dit-elle, de ne point voir ce coquin de Desgrais qui m’a prise », car Desgrais chevauchait en armes devant le tombereau. Elle monta seule et mit pied sur l’échafaud et fut un quart d’heure mirodée (ajustée avec soin NDR), rasée, dressée et redressée par le bourreau. Mais après cela il semble qu’elle défaillit et elle eut alors toutes les apparences de la mort. Ce fut un grand murmure et une grande cruauté. Le lendemain, on cherchait ses os parce que le peuple croyait qu’elle était sainte ».

    De nos jours l’hôtel de la marquise de Brinvilliers, ou plus exactement l’hôtel d’Aubray, est devenu un lieu de prières et est en grande partie occupé par des religieuses mais on peut le visiter. Je vous conseille toutefois de ne pas vous y rendre sans avoir en votre possession quelque talisman propre à conjurer « l’humeur empoisonnante » qu’exhalait la marquise dont la fin tragique et courageuse n’abolit nullement l’horreur de ses crimes. Une autre conclusion s’impose également : quelle que soit l’époque, le crime trouve toujours son juste et terrible châtiment. Alors, restez dans le droit chemin !

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